« Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores » René Char.
C’est la première fois que j’écris correctement ton prénom. Tu savais que c’étais moi dans les SMS parce que j’étais le seul à écrire « Ross ».
Je ne me souviens plus comment je t’ai rencontré. Mais je me rappelle être passé chez vous à Labach, à l’époque où je finissais ma maison. J’avais proposé de vous aider pour transporter des poutres. Vous deviez, avec Daniel, rénover le plancher de l’étage. Puis, vous étiez venus à la maison, pour un apéro dinatoire. Avec Anouk.

Au fil du temps, on avait appris à se connaître. Trop peu.
La maladie est arrivée. Mais rien n’a changé dans ta façon d’être et d’agir. Toujours le sourire, une volonté intacte, une passion pour ton métier de bergère et d’éleveuse de brebis, une passion pour la vie en montagne.
Un coup de Klaxon ou un signe de la main quand tu passais au bas de la maison.
J’étais venu voir ton exposition de photos à Fos. J’avais apprécié ton regard de photographe. Chez Patrice, après ton opération de la hanche, nous avions discuté et échangé nos lectures. J’avais vu tes dessins. Tu étais une artiste, un peu poète, cultivée, intelligente.
Un peu de répit mais la maladie est revenue. Saloperie de cancer.
On s’est revu, à la cabane du plan des Séderres, à Uls, à Auéran. Je montais avec Pascale, René et Michel. Toi, tu avais pris de l’avance, montant seule la veille, dormant parfois sous ta minuscule tente. J’étais admiratif devant ta persévérance, ton courage, cette volonté de faire le job.


Et puis les médecins t’ont donné 6 mois à vivre. Je suis venu passer une après-midi avec toi à l’oncopole de Toulouse cet automne. Je me souviens, tu m’avais dit » à l’entrée, à droite, 2B ». Là, à l’accueuil du 2B, j’ai demandé à te voir. Tout le monde te connaissait, toi et Anouk et ce fut assez facile de te trouver. Tu étais là, dans une salle d’attente avec d’autres patients. Tu arrivais de Lez, un sandwich de 30 cm dans lequel tu mordais à pleines dents. Je me dis que tu as mordu dans la vie comme dans ton sandwich de ce jour là. Tu m’as dit, avec ton français aromatisé hollandais : « je crève la dale. Je n’y crois pas aux 6 mois, je vais bien. Un peu crevée par les naissances (des agneaux), mais ça va ».

Tu m’as parlé de la prochaine saison en estive et aussi, avec lucidité, du temps qu’il te restait pour préparer Anouk à ton départ. Je t’ai accompagné dans la pièce ou tu recevais l’injection de la chimio. Tu ne voulais pas de la compresse de froid sur la tête. « Ça fait trop mal ce froid sur la tête. Tant pis pour les cheveux, je mettrai un bonnet« .

Tu m’as raconté comment cet été tu es arrivée à l’oncopole avec la bétaillère transportant des brebis. Garée devant l’entrée de l’oncopole, toi et Anouk avez disposé un drap sur le toit de la bétaillère afin de limiter la chaleur à l’intérieur, pour le confort des brebis. Outre ta volonté, ton courage, ton sourire, un patient qui arrive avec ses brebis à l’hôpital, ils ne l’oublierons pas, ils ne t’oublierons pas.

J’étais venu ce jour là pour te soutenir et c’est toi qui m’a donné une leçon de vie. Heureusement, dehors il faisait frais. En repartant, j’avais besoin de retrouver mes esprits. Je me sentais faible et petit devant ton courage et ta grandeur.

Je suis sûr qu’au cours de nos prochaines montées dans les estives, tu seras là avec nous, dans notre tête, dans notre coeur. Ou, quand je regarderai le soir depuis ma fenêtre le ciel étoilé au dessus du pic de la Taillare, des Coupets ou des crêtes de Seneviès, tu seras là, une étoile parmi les étoiles. « Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores « .
Un beau récit très émouvant !